Je suis assise à l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame, sur les hauteurs de Québec, sur le site de l’église où Jeanne a épousé son premier mari, Guillaume Lecanteur, le 19 octobre 1671. Puisque l’église originale a été deux fois détruite par le feu, le bâtiment dans lequel je me trouve est la troisième église construite sur ce site. Bien que l’église ait été reconstruite et qu’elle ne la reconnaîtrait certainement pas avec ses écrans vidéo, ses statues dorées et ses revêtements muraux élaborés, je tente d’entrer en contact avec Jeanne.
J’aimerais savoir pourquoi elle a consenti à épouser Guillaume, après des fréquentations si courtes. Jusqu’à quel point le connaissait-elle? Dans leur contrat de mariage du 11 octobre 1671, il était mentionné que Guillaume était domicilié à La Durantaye, au sud-est de Québec. Pourtant, il venait de vendre une terre et de louer une ferme de son ami Adrien Michelon, à Charlesbourg, un peu au nord-ouest de Québec. Cette différence m’intrigue. N’a-t-elle pas intrigué Jeanne?
L’a-t-elle harcelé avec toutes ses questions au sujet de sa maison, de sa ferme et de ses habitudes de vie, quand ils se sont rencontrés? Que lui a-t-il dit à propos de la maison qu’il leur avait trouvée? Il faut croire que le bail concernant la terre de Charlesbourg contenait des réponses satisfaisantes à n’importe quelle question qu’elle aurait pu poser. La promesse d’une maison à proximité de Québec a du lui paraître sécuritaire, plus proche du milieu urbain auquel elle avait été habituée, à Coutances ou à Dieppe. Ils ne déménageraient donc pas dans la nature sauvage, mais resteraient plutôt près de Québec, sur une terre en partie défrichée et avec la possibilité d’avoir des voisins.
J’aimerais aussi savoir ce qui l’a attirée chez Guillaume. Était-ce parce qu’ils parlaient le même dialecte, tous deux venant de Normandie, bien que ce critère n’ait pas nécessairement paru crucial aux autres femmes? Ou peut-être voulait-elle juste se caser? Ou peut-être encore l’a-t-elle choisi parce qu’il était un habitant qui sortait de l’ordinaire, comme le montre sa signature singulière? L’appartenance à une classe sociale plus élevée, suggérée par son nom, l’a-t-elle attirée? Avait-il l’allure fière correspondant à sa signature?
Quelles que soient les raisons de son choix, elle a épousé Guillaume en l’église Notre-Dame, le 19 octobre 1671, moins de trois mois après son arrivée à Québec. J’aime à m’imaginer à quoi la cérémonie a pu ressembler. Plusieurs autres couples se sont aussi mariés le même jour. Y a-t-il eu des cérémonies séparées ou juste une grande cérémonie pour tous ceux qui se sont mariés ce jour-là? Sans doute n’y a-t-il pas eu de longues robes blanches à traîne, ni de voiles, ni de musique d’orgue. Y a-t-il eu des fleurs ou juste des serments solennels « jusqu’à ce que la mort nous sépare » et des séances séparées de signature du registre paroissial?