On me demande souvent pourquoi mon ancêtre Jeanne Chevalier a décidé de quitter la France pour venir dans la nouvelle colonie. Essayer de comprendre les raisons de son choix nécessite un haut niveau de spéculation, étant donné que les Filles du Roy ont laissé peu d’archives ou de journaux intimes. Pour la plupart d’entre elles, cela a du être une décision volontaire, même si elles ont pu être fortement encouragées à émigrer par leurs tuteurs, leurs parents, les responsables des hôpitaux de charité, les prêtres de paroisse ou même les agents recruteurs. Lors d’un colloque sur les Filles du Roy, à Québec, il y a plusieurs années, le célèbre historien Yves Landry a laissé entendre, certes sur la base de peu d’éléments de preuve, que plusieurs filles, particulièrement celles qui étaient dans des foyers de charité à Paris, ont pu être contraintes à intégrer le programme.
Même si cela a pu s’avérer vrai pour un grand nombre d’entre elles, d’autres raisons peuvent avoir incité ces femmes à quitter la France. Il est certain qu’elles ont dû entendre des rumeurs et des histoires en provenance de la Nouvelle-France. Il est possible que la vie au Nouveau Monde leur ait paru pleine de dangers, avec des risques associés à un climat plus rude qu’en France et à de possibles attaques par les indigènes. Il est possible aussi qu’elles aient vu une telle opportunité comme une solution, une occasion d’améliorer leur sort dans la vie, étant donné leur avenir incertain en France. Par rapport à la France, une femme qui voulait se marier au Canada était pratiquement assurée d’y parvenir. Il y avait certainement un plus grand choix de maris potentiels, selon les mots de l’historienne Leslie Choquette : « des fermiers ou des hommes de métier respectables jusqu’à peut-être quelqu’un de classe sociale plus élevée. »
Quelles que soient leurs raisons, la grande majorité de ces femmes a fait preuve d’un grand courage. Elles sortaient probablement de l’ordinaire, puisque, selon Choquette la migration interne au sein même de France était rare, particulièrement chez les femmes célibataires.
Telle est l’image que je me fais de mon ancêtre Jeanne Chevalier : une femme brave, courageuse et aventureuse, une femme volontaire et déterminée à agir et à bâtir une vie meilleure, pour elle-même et pour sa future famille, au Nouveau Monde.