La Nouvelle-France du XVIIe siècle avait besoin de femmes. La population de la colonie ne s’accroissait pas. Même si Montréal avait été fondée un an avant la naissance de Jeanne, le nombre de Français, dans ce qui allait devenir le Québec, étaient toujours en-deçà de 3000 habitants, en 1663. Ces hommes qui s’aventuraient en Nouvelle-France ne choisissaient pas de s’y établir. En effet, alors que le climat était certainement un facteur important pour expliquer cette situation, la principale raison, selon Louis XIV et son premier ministre Colbert, était l’absence de femmes. Louis et ses ministres ont alors décidé qu’il était temps de remédier à la situation pour transformer l’exploration de la Nouvelle-France en peuplement de la Nouvelle-France. C’est ainsi qu’en 1663, en plus de leurs autres mesures pour renforcer la colonie, ils ont instauré le programme des Filles du Roy destiné à encourager les jeunes femmes orphelines ou pauvres à faire le voyage en Nouvelle-France, à épouser les explorateurs, les soldats et les marchands, à fonder des familles et, ainsi, à accroître la population de la colonie. Jeanne n’est pas la seule fille du Roy dans l’arbre généalogique de ma famille. Mon cousin Peter Dumont en a trouvé 18, dans la seule lignée de mon père.
Beaucoup a déjà été écrit sur ce programme, aussi bien en français qu’en anglais, sous forme romancée ou non. Pour plus de détails sur la question, la lectrice ou le lecteur que le sujet intéresse pourra consulter la liste des titres de la bibliographie qui sera mise en ligne incessamment. Dans le présent texte, je ne fais que résumer ce que j’ai appris jusqu’ici sur le sujet, afin de décrire le contexte ayant amené Jeanne à prendre la décision de venir en Nouvelle-France. La Societe des Filles du Roi, basée en Virginie, ainsi que la Société d’histoire des Filles du Roy, qui a pignon sur rue à Québec, sont de merveilleuses sources d’information.
Des précédents
Le fait de faire venir des femmes pour peupler une colonie au Nouveau-monde n’était pas vraiment une idée nouvelle. En effet, entre 1619 et 1621, la Virginia Company, une compagnie privée anglaise, a envoyé en Virginie plus de 200 futures nouvelles épouses potentielles pour les colons du lieu. Elles vivaient chez des couples mariés jusqu’à ce quelles trouvent un mari qui leur convienne. Une fois qu’ils étaient mariées, il appartenait à chaque époux de rembourser la Virginia Company pour le coût du voyage de sa femme, avec entre 120 et 150 livres de son meilleur tabac.
Le roi d’Espagne a aussi encouragé des aventuriers privés à faire de même, au XVIe siècle, pour aider à coloniser les Caraïbes. Cependant, dans ce cas, c’était les femmes mariées et les familles qui étaient privilégiées. En fait, il était interdit aux hommes mariés d’immigrer sans leurs épouses.
Il y a aussi eu d’autres tentatives françaises pour encourager l’immigration en Nouvelle-France de jeunes femmes célibataires. Avant 1663, le passage d’une femme qui faisait le voyage était payé par les marchands, les familles ou l’Église. D’habitude, les futures épouses avaient de la famille ou des connaissances en Nouvelle-France, ce qui facilitait leur décision de quitter la France. Ces tentatives antérieures à 1663, n’ont cependant pas été suffisantes, numériquement parlant, pour accroître la population de la colonie de façon significative.
Le programme des Filles du Roy de Louis XIV était différent des tentatives précédentes, en France et ailleurs. Ces femmes, qui avaient peu ou pas de famille dans la colonie, devaient être recrutées et envoyées en Nouvelle-France par le roi et ses administrateurs. En plus de leur passage pour la Nouvelle-France, le roi leur fournissait des vêtements ainsi que la promesse d’une dot si elles se mariaient. Les femmes recevaient aussi plusieurs effets de première nécessité tels un bonnet, un mouchoir en taffetas, du ruban, 100 aiguilles, un peigne et une brosse, du fil blanc, une paire de bas, une paire de gants, une paire de ciseaux, deux couteaux, 1000 épingles, quatre lacets en corde pour leurs corsages ainsi qu’une petite bourse en argent. Ces biens ainsi que les effets personnels de la femme, normalement de value de 300 livres en moyenne, étaient placés dans de grandes boîtes en bois qu’on appelait des « coffres ». De petits « trésors » ont aussi pu être dissimulés dans un compartiment secret du coffre appelé la « caisse ».
Le profil des Filles du Roy
Entre 1663 et 1673, 770 jeunes femmes, dont la majorité avaient entre 16 et 40 ans, ont répondu à l’appel du roi et sont montées à bord des vaisseaux qui appareillaient de La Rochelle et de Dieppe. La plupart partaient de Dieppe, un voyage de deux semaines à partir de Paris, en partie par bateau sur la Seine, et le reste vraisemblablement par la route, Dieppe se trouvant au nord-est de Paris.
Les femmes venaient d’horizons différents. Près des deux tiers d’entre elles venaient de « zones urbaines », à l’opposée des hommes qui émigraient au Canada. La majorité des femmes, qui, au début en tous cas, étaient les filles orphelines de petits artisans, d’ouvriers, de domestiques et, quelques fois, de gens de la petite noblesse, venaient de Paris ou de villes ou villages de Normandie. Compte tenu du manque de moyens de communication de masse, de l’analphabétisme généralisé et des difficultés de déplacement au XVIIe siècle, les agents de recrutement – principalement des marchands et des propriétaires de navire – ont concentré leurs efforts autour de La Rochelle et de Dieppe. Les agents recevaient une commission pour chaque jeune fille recrutée. L’Hôpital Général et la Salpêtrière, à Paris, qui hébergeaient des enfants abandonnés, des orphelines, des femmes enceintes et même des filles de familles nobles en difficulté, fournissaient également des recrues, vraisemblablement jusqu’à 50 pour cent de toutes les Filles du Roy.
Il semble qu’un certain nombre de jeunes filles se soient présentées directement aux points d’embarquement, peut-être attirées par la rumeur des cadeaux offerts par le roi. Apparemment, en dépit des défis de la communication dans la France du XVIIe siècle, les renseignements au sujet du programme ont fini par se répandre, puisque la moitié des Filles du Roy sont arrivées dans les dernières années du programme (entre 1669 et 1673).
Dans les toutes premières années du programme, des voix se sont élevées à Québec, pour dire que les jeunes femmes envoyées n’étaient pas accoutumées, voire même physiquement capables de prendre en charge le dur travail de la ferme, de faire face aux hivers rigoureux et à l’isolation qu’elles auraient à subir en Nouvelle-France. En réponse à cette critique, Colbert, le premier ministre de Louis XIV, a demandé, en 1670, à l’archevêque de Rouen de faire circuler l’information dans les trente ou quarante paroisses de la campagne normande afin de trouver des filles plus habituées à la dure vie rurale. « Elles doivent être saines, fortes, » a écrit Colbert, « et en aucune façon déshonorées par la nature et en aucune façon répulsives sur l’extérieur. »
Départ et arrivée
Les recrues potentielles passaient par un processus de sélection minutieux. Les agents de recrutement devaient s’assurer que les jeunes femmes n’étaient pas déjà mariées; ils exigeaient que chacune produise un certificat de naissance ainsi qu’une déclaration sous serment du prêtre de sa paroisse certifiant qu’elle était libre et qu’elle pouvait donc se marier (Oui, j’essaye de localiser ces documents. Ou alors peut-être que les jeunes femmes les ont apportés en Nouvelle-France dans leurs coffres et que ceux-ci ont été perdus par la suite.). Une gouvernante escortait chaque groupe de femmes, de France jusqu’en Nouvelle-France, et veillait sur elles jusqu’à ce qu’elles trouvent un homme à se marier dans la colonie.
Un premier groupe de 36 filles est arrivé le 22 septembre 1663. Ces femmes, ainsi que les 734 qui sont arrivées, en nombre grandissant, au cours des 10 années suivantes, devaient être des femmes robustes. Elles ont dû entendre des histoires terribles au sujet des hivers canadiens et des attaques des AmerIndiens et affronter un voyage périlleux pour traverser l’océan Atlantique. Mais, probablement pour diverses raisons, elles ont pris ce risque pour commencer une nouvelle vie, en Nouvelle-France.