La Fête de la Nouvelle France a été une autre incroyable célébration de l’histoire du Québec. Malgré la chaleur et l’humidité étouffante, les femmes en costume ont commémoré le rôle des Filles du Roi dans la fondation de la colonie. L’auteur Sergine Desjardins a donné une conférence très stimulante sur ces femmes courageuses et sur la vie de son ancêtre, Marie Majeur, une fille su roi. Mes mini-conférences ont assuré que Jeanne Chevalier était aussi reconnue.
Tous ces évènements m’ont rappelé que mon intérêt pour le rôle des femmes dans l’histoire a commencé il y a bien des années, dans ce qui me paraît être une autre vie, quand j’étais étudiante en histoire européenne moderne à l’université. Mon intérêt particulier à cette époque se portait en particulier sur la Russie prérévolutionnaire et je me rappelle avoir écrit – parce que j’ai toujours la version originale (mais non publiée) – une thèse sur les femmes dans la Russie médiévale. Peut-être était-ce à ce moment-là, il y a presque cinquante ans, que je suis devenue fascinée par le rôle des femmes dans l’Histoire ?
A présent, environ cinq décennies plus tard, après avoir embrassé différentes carrières, j’aborde à nouveau ce sujet. Mais cette fois, cela a pris une tournure plus personnelle. Mes recherches initiales sur la vie de mes aïeules au onzième degré ont révélé un point très intéressant sur cette question. Au fil du temps, les chercheurs avaient écrit beaucoup sur Robert Lévesque (et sur les autres pères du Québec), mais peu sur son épouse Jeanne (et en fait sur les autres mères), même si, sans Jeanne, les milliers de Lévesque des Etats-Unis et du Canada n’existeraient pas. En tant que féministe convaincue, j’ai décidé de rendre justice à Jeanne. Jeanne était une femme formidable comme la plupart des Filles du Roi. Je me suis donc fait un devoir d’écrire son histoire afin de la garder vivante pour les générations à venir et pour la partager avec tous ses descendants et ceux des autres Filles du Roi : Il s’agit de lui donner une voix ainsi qu’aux autres femmes de la Nouvelle-France et de leur accorder la reconnaissance qu’elles méritent.
Les années que j’ai passées à faire des recherches sur la vie de Jeanne et mes expériences à la Fête de la Nouvelle France m’ont également forcée à réfléchir non seulement sur les exigences disciplinaires de l’histoire, mais aussi sur le rôle des femmes dans l’histoire. Les historiens Laurel Ulrich et Jill Lepore ont décrit les difficultés causées par le fait d’écrire sur les femmes. Dans son essai « Good Wives, » sur l’histoire de la vie des femmes en Nouvelle-Angleterre de 1650 à 1750, Ulrich écrit: « L’histoire n’est pas seulement le résultat d’événements politiques, économiques et sociaux majeurs menés par les grands hommes du passé. C’est aussi le résultat du travail quotidien, d’hommes et de femmes ordinaires, et en particulier de femmes. Mais ce sont ces éléments qui sont si difficiles à trouver. » Dans l’article du New-Yorker intitulé « The Prodigal Daughter » (2013/07/08), Lepore rapporte, « L’histoire s’écrit à partir de ce qui peut être trouvé; ce qui n’est pas sauvé est perdu, submergé et pourri, dévoré par la terre. »
Une partie importante des écrits sur les femmes met en jeu les fragments de leurs vies, les choses insignifiantes qui n’ont pas été facilement trouvées ou qui ne pourront jamais l’être. Les historiens et les auteurs du Québec, d’après ce que je peux en dire, font davantage des recherches et produisent plus d’écrits sur les femmes. Ce sont eux qui gardent vivant l’héritage des Filles du Roi. Une partie de leur intérêt peut partager aussi en France. Au cours des quelques dernières années, il y a eu des célébrations et des nouvelles plaques commémoratives en l’honneur des Filles du Roy à Dieppe, Rouen, Paris et La Rochelle. On a également dressé des mémoriaux à d’autres femmes, y compris à Marie Rollet ainsi qu’aux sœurs Augustines qui ont quitté Dieppe en 1639 pour fonder l’Hôtel Dieu à Québec.
En évoquant la vie de mon ancêtre Jeanne, je souhaite que mon livre remplisse deux objectifs. Le premier, bien sûr, est d’offrir à Jeanne la reconnaissance qu’elle mérite, bien que je n’aie trouvé que certains éléments de sa vie et par conséquent pu en retracer qu’une partie. Le deuxième but est d’inspirer aux lecteurs l’envie de faire des recherches approfondies et d’écrire sur toutes ces femmes que l’histoire a oubliées. Étant donné les commentaires reçus sur mon livre à ce jour et mes expériences au Québec cet été, certains signes laissent supposer que ce sera possible.