À la fin de 1678, Jeanne se retrouvait seule avec un fils nouveau-né, deux autres fils de moins de 7 ans, possiblement 3 lopins de terre et des dettes. On n’a pas trouvé de certificat de décès pour son mari Guillaume, en dépit de tentatives pour le trouver. Étant donné qu’on n’est pas certain qu’il ait assisté au baptême de son fils en juillet; sa mort est entourée de mystère. Quand, où et comment est-il mort? S’était-il lui-même engagé comme explorateur ou pour faire la traite des fourrures, ces dernières années pour gagner de l’argent pour payer ses dettes ou pour les fuir et alors connaître ce fatal accident? A-t-il été enterré là où il est mort, loin de toute église et de tous registres ou ces registres ont-ils été perdus? En fait, les registres des décès de la paroisse de L’Ange-Gardien ne sont pas sur microfilms. Quand j’ai demandé aux archives de Château-Richer, tout proche, où étaient passés ces registres, on m’a répondu : « Ils ne sont pas ici. En fait, personne ne les a réclamés avant. » (Enfin, je crois que c’est ce que j’ai compris, étant donné que mon français ne m’a pas permis d’entreprendre une conversation plus soutenue avec le préposé, sur place.)

Le 22 avril 1679, Jeanne renonce à la succession de son mari pour être déchargée de leurs dettes, comme c’était son droit en tant que veuve. Cette renonciation, enregistrée par un notaire, incluait un inventaire de la propriété restante évaluée à plus ou moins 40 livres. Grâce à l’historien Ulric Lévesque et à un des archivistes de Québec, je suis à même de dire, à partir de la renonciation, que leurs biens consistaient en quelques pots et casseroles, un vieux sceau en laiton, une hache, deux vieilles houes, trois vieilles couvertures , quelques linges de maison ainsi que « cinq chemises ayant appartenu au défunt. » L’inventaire faisait également mention d’un vieux coffre verrouillé, avec une clé et contenant un justaucorps, un vêtement suffisamment élégant pour être conservé dans un coffre.
Selon le notaire, le reste de ses vêtements « ont été pour la plupart perdus là où il est mort ou ont servi à l’enterrer. »
J’essaye d’imaginer comment Jeanne a pu se sentir quand elle a appris la nouvelle. Désespoir face à l’avenir, surtout en considérant ce qui lui restait; tristesse pour la perte de son mari; honte face aux dettes qu’il laissait derrière lui? À mon point de vue, je me demande si elle ressentait un quelconque soulagement. De toutes façons, la vie avec Guillaume n’aurait pas pu être facile. Était-il, comme on l’a suggéré, un instable, une canaille? Avait-il la bougeotte (terme français pour wanderlust)? Était-il, comme le suggère son analyse graphologique, un entrepreneur en série, constamment à la recherche d’un autre contrat? Ou avait-il juste le comportement typique de ce groupe d’hommes du XVII ͤ siècle essayant de s’en sortir en faisant le commerce des terres? Peu importe la véritable histoire, ça n’aurait pu être une vie confortable.
Mais qu’aurait-elle pu faire pour changer la situation? Guillaume aurait pris toutes les décisions, un privilège réservé aux hommes, en ce temps-là. Les femmes célibataires et mariées avaient peu, sinon aucuns droits en propre, de sorte que l’opinion de Jeanne n’aurait probablement .été prise en compte dans aucune décision importante. Elle avait épousé Guillaume pour la vie, jusqu’à la mort, conformément aux règles de l’église catholique. Bien que certaines femmes aient pu s’organiser pour vivre en « séparation de biens », Jeanne avait trois enfants et elle aurait été obligée de s’en occuper seule. Avait-elle le choix? A-t-elle jamais eu le temps d’y réfléchir ou vivait-elle juste au jour le jour en s’acquittant des tâches à la fois banales et exigeantes nécessaires pour tenir maison et élever de jeunes enfants?
Cela a dû être effrayant pour elle quand elle a appris la mort de son mari. Même si elle pouvait sûrement compter sur l’appui d’amis dans la communauté, elle avait peu d’alternatives. Malgré qu’elle soit apparemment encore en possession de sa dot de 50 livres, qui était restée, autant que nous le savons, elle avait peu de ressources. Il aurait été possible à des femmes du temps de se partir en affaires ou d’entrer au couvent, du moins selon l’historienne canadienne Jan Noel, dans son livre Along the River: The First French-Canadian Women. Les deux solutions nécessitaient cependant plus de ressources financières que Jeanne n’en possédait, en ce temps-là. En plus, elle avait trois jeunes enfants. Elle ne pouvait pas non plus retourner en France; encore une fois, un tel voyage coûtait cher et elle n’avait ni famille ni bonnes perspectives d’avenir en France, du moins pour autant que je sache.
Jeanne faisait face au veuvage et à la pauvreté, seule dans un pays sauvage et encore indompté. Son seul espoir, son seul choix, pour elle-même et pour sa famille, était de se remarier.