Si Jeanne et Guillaume étaient un couple typique, parmi tant d’autres Filles du Roy, lors de leur mariage, ils auraient dû percevoir la dot promise de Jeanne au montant de 50 livres, en même temps qu’un cochon, des poules, des barils de viande salée et d’autres aliments de base. Ils devaient ensuite se déplacer en emportant leurs provisions jusqu’à la ferme La Petite Auvergne de Charlesbourg, que Guillaume avait louée la veille de leur mariage. La ferme, si les cartes consultées à la Société d’Histoire de Charlesbourg sont exactes, devait avoir une jolie vue sur Québec. Sa localisation, sur une colline au nord-ouest de cette ville, aurait pu susciter, chez Jeanne, l’espoir pour son avenir.
Malgré le potentiel du site, je me demande ce que Jeanne a ressenti quand elle a vu, pour la première fois, la maison que son nouvel époux leur avait préparée. Était-elle déçue par rapport à ce qu’elle avait connu en France ou était-elle simplement heureuse d’être enfin installée, pour que le plancher en terre battue et la minuscule pièce unique ne la dérangent pas? Cela n’avait probablement pas d’importance, puisque, apparemment, ils ne sont pas restés longtemps à La petite Auvergne. Ils ont dû trouver quelqu’un pour reprendre le bail.
Leur premier enfant, Nicolas, est né le 7 septembre 1672. Malgré que son baptême ait été enregistré à Château-Richer, plus à l’est de Québec, le long de la rive nord du Saint-Laurent, il n’y a pas de preuve qu’ils aient eu une maison là-bas. Il semble plutôt qu’à l’époque de la naissance de son fils, Guillaume ait signé un bail pour des terres défrichées, incluant une construction pouvant servir de maison, à L’Ange-Gardien, près de Château-Richer (où le baptême de son fils a été enregistré). La ferme était apparemment située à côté de celle de la famille LeTarte qui jouerait, plus tard, un rôle majeur dans la vie de Jeanne. Malgré que le texte notarié du bail soit manquant, on y fait référence au bail dans l’achat subséquent de cette propriété par Guillaume deux ans plus tard. Comment il a obtenu l’argent, on ne le sait pas; il y avait évidemment des gens prêt à prêter de l’argent en échange d’accords pour cultiver la terre.
Puis, le 11 novembre 1672, deux mois après la naissance de Nicolas, Guillaume achète une terre non-défrichée à Berthier-sur-mer, sur la rive sud du Saint-Laurent, de l’autre côté de l’île d’Orléans. Il n’y a aucune preuve qu’ils aient déménagé de l’autre côté du fleuve. Jeanne et Guillaume s’appliquaient à créer une communauté avec leurs voisins, à L’Ange-Gardien. Comme l’attestent les registres, ils ont assisté à plusieurs baptêmes et mariages à L’Ange-Gardien. En novembre 1674, Guillaume achète la terre qu’il louait déjà, à L’Ange-Gardien. Leur fils Charles y fut baptisé un an plus tard, en décembre.
En 1676, Guillaume a été impliqué dans une affaire civile. D’après ce que j’ai compris, il aurait omis de payer les impôts fonciers au moment de l’achat de la terre de L’Ange-Gardien ou de Berthier-sur-mer et aurait fait l’objet de poursuites pour défaut de remboursement. Même si j’ai pu presque miraculeusement mettre la main sur le dossier de la poursuite, j’en suis encore à essayer de démêler les faits dans cette cause. Il a définitivement perdu sa cause, mais a argué qu’il ne pouvait pas payer l’amende qui lui avait été imposée, parce qu’il ne possédait plus la terre en question et qu’il n’avait pas les moyens de payer la somme exigée.
Fait à noter, le jugement prononcé contre lui n’a pas semblé l’avoir empêché d’acheter d’autres terres. Le 22 juin 1677, Guillaume achète une terre sur l’île d’Orléans, en face de l’Ange-Gardien. Cette fois, son nom et celui de Jeanne apparaissent sur le contrat.
Un petit peu plus d’un an plus tard, soit le 24 juillet 1678, leur troisième fils voit le jour à L’Ange-Gardien. Selon un registre, Guillaume aurait été enregistré comme « présent ». Mais les registres sont assez déroutants. Dans l’un d’eux, le bébé est déclaré « inconnu », alors que dans un autre, il est appelé Guillaume! Il s’agit juste d’un mystère de plus à être éclairci, en même temps qu’un autre, qui laisse encore plus perplexe et qui est survenu à peu près à la même époque.
Quand le bébé Guillaume est né, Jeanne avait déjà Nicolas, qui avait presque six ans, et Charles, presque trois ans, et, j’en suis presque certaine, elle vivait toujours à L’Ange-Gardien. Apparemment, elle vivait déjà seule, cependant, parce que, peu de temps après la naissance de son troisième fils, son mari disparaît.