Pour pleinement comprendre la vie de Jeanne et les défis qu’elle a eu à relever, il importe de pouvoir se faire une idée de l’époque de Jeanne, du lieu où elle est née et où elle a passé les vingt-huit premières années de sa vie. J’ai donc ressorti les livres d’histoire conservés depuis l’université (durant les années ’60), pour fournir une toile de fond à l’histoire de Jeanne.
Jeanne-Marguerite le Chevalier a vécu de 1643 à 1716, une période de 73 ans coïncidant presque exactement avec le règne de Louis XIV (1642-1715) et avec la vie du physicien et mathématicien anglais Sir Isaac Newton (1642-1727).
Exploration et expansion
À la naissance de Jeanne, en 1643, c’était, en Europe du moins, l’époque des grandes expéditions exploratoires et de l’expansion territoriale tout comme du développement des arts et des sciences. Les navigateurs et les marchands espagnols, hollandais, portugais, britanniques et français faisaient la découverte de nouvelles terres et de peuples jusque là inconnus, en Amérique, en Afrique et en Asie, dans leur recherche de trésors et de nouvelles routes vers l’Extrême-Orient. Dans la foulée de la Réforme et de la Renaissance, c’était aussi une époque marquée par les révoltes, les troubles religieux, les conflits civils, la consolidation du pouvoir des monarques ainsi que les guerres sans fin. Et pour plusieurs, c’était une époque de détresse au plan économique.
La Guerre de Trente ans entre la France et une grande partie de l’Europe s’est achevée en 1648, avec la naissance d’États indépendants et souverains en Europe. Déjà, Galilée avait révélé que la terre n’était pas le centre de l’univers pour être traduit en justice, en 1633, et mourir un an avant la naissance de Jeanne. La révolution scientifique qui a suivi a marqué une brisure entre les idées de l’Antiquité et du Moyen Âge et le début de l’exploration des possibilités offertes à l’intelligence humaine. Les découvertes concernant le sang et la circulation sanguine ont marqué des avancées dans le domaine de la médecine, malgré que des maladies comme la variole et la rougeole faisaient toujours des ravages dans la population. Les connaissances en matière de microbes et d’hygiène corporelle étaient quasi-inexistantes. Les horloges mécaniques ont remplacé le sablier et le cadran solaire vers le début du XIVe siècle. Les montres de poche sont apparues au XVIIe siècle, et la pendule, qui resterait le dispositif de mesure du temps le plus précis jusqu’au début du XXe siècle, a été inventée par un scientifique hollandais, en 1656. La majeure partie de la population, cependant, continuait à mesurer le temps par les mouvements du soleil, de la lune, des étoiles et des marées.
Les âges d’or
Pour l’aristocratie, riche et instruite, l’Europe était sortie de la Renaissance plus créative, plus riche de découvertes et plus privilégiée. Aux Pays-Bas et en Espagne, ces années ont été qualifiées d’Âge d’or de la peinture. En 1642, un an avant la naissance de Jeanne, Rembrandt a peint Ronde de nuit. Vermeer, lui, a réalisé l’une de mes toiles favorites, La jeune fille à la perle, vingt-quatre ans plus tard, soit en 1666. C’est à cette époque qu’en Espagne, Velasquez et Murillo ont créé leurs célèbres œuvres d’art. L’avènement de l’imprimerie, avec les caractères mobiles, à la fin du XVe siècle, avait entraîné l’explosion de l’édition de livres et d’autres publications. Les bibliothèques ont vu le jour à la fin du XVIe siècle, malgré la crainte des lettrés que la diffusion des livres (particulièrement en petit format) pourraient ne mette le savoir à la portée de tout le monde. La plupart des gens, cependant, sont restés illettrés.
En France, le XVIIe siècle a vu l’avènement de la période classique de la littérature. Le premier journal français a été publié à Paris, en 1631; quatre ans plus tard, l’Académie française fut fondée. Les tragédies de Corneille et de Racine, les comédies de Molière, les fables de La Fontaine et les lettres de Madame de Sévigné ont toutes été écrites et publiées à cette époque. William Shakespeare est mort en 1616, mais John Milton a commencé à écrire Le Paradis Perdu en 1658 et le publié neuf années plus tard.
Agitations religieuses et sociales
La naissance de Jeanne, en 1643, est survenue seulement 126 ans après que Martin Luther ait cloué ses 95 thèses sur la porte de l’église de Wittenburg, en Allemagne, en signe de protestation. Une génération après Luther, les écrits du théologien français Jean Calvin ont mené à l’avènement des Huguenots, comme on appelait les protestants français. La Bible du Roi Jacques a été publiée en 1611. La cohabitation des protestants et des catholiques était difficile dans plusieurs pays. En France, l’Édit de Nantes avait été promulgué en 1598, accordant une liberté religieuse limitée aux Huguenots, ce qui a eu pour conséquences l’augmentation des tensions et la consolidation du pouvoir de Louis XIV, qui ont mené à sa révocation, en 1685. Malgré les défis posés par la Réforme, l’Église catholique est restée puissante en France, surtout auprès des classes populaires.
Les membres de la noblesse, en France, jouissaient des plaisirs de l’art et de la musique dans les palais qu’ils construisaient sur la Place des Vosges à Paris. En même temps, ils perdaient de plus en plus leur pouvoir politique. La plupart étaient confinés à des carrières dans l’armée ou l’Église ou à passer leur temps à la cour du Roi. En 1648, leur frustration face aux excès financiers de la cour et aux nouveaux impôts qu’on leur prélevait a mené plusieurs d’entre eux à la révolte ouverte. En 1653, le mouvement appelé La Fronde s’est éteint, mais non sans avoir fait beaucoup de ravages dans les campagnes et avoir vu le pouvoir de la noblesse davantage réduit.
À l’autre extrémité de l’échelle sociale se trouvait la paysannerie. Tout au long du XVIIe siècle, la vie du bas peuple a été une lutte constante et apparemment désespérée. En plus des désastres causés par la température et la famine, il était sujet à des augmentations d’impôts résultant des dépenses extravagantes de Louis XIII ainsi que des rois qui l’ont précédé ou suivi et de la mobilisation des troupes engagées dans les guerres avec les voisins de la France. Les soulèvements étaient fréquents. Un des plus importants fut la révolte des va-nu-pieds, en 1639. Concentrée en Basse-Normandie, où Jeanne naîtrait quatre ans plus tard, la révolte s’est terminée par l’exécution ou l’emprisonnement de ses chefs ainsi que par de lourdes amendes et des réparations imposées aux localités concernées.
L’avènement de Louis XIV
En mai 1643, un mois à peine avant la naissance de Jeanne, le jeune Louis XIV, âgé de 4 ans, devint roi de France, à la suite de la mort prématurée de son père. La France comptait alors vingt millions d’habitants et s’étendait sur plus de 321 669 kilomètres carrés (200 000 milles carrés). Paris était la plus grande ville de la chrétienté. Louis a commencé à régner à quinze ans et a entrepris sa marche vers l’absolutisme basé sur le droit divin des monarques. Il est allé de l’avant pour asseoir le pouvoir de la cour et, ultérieurement, assujettir les membres de la noblesse, les obligeant à passer du temps à Versailles, ce luxueux palais à l’extérieur de Paris dont il ferait sa résidence principale, en 1682.
Durant la seconde moitié du XVIIe siècle, Louis et ses ministres ont eu à relever une multitude de défis allant des débordements externes aux dissensions internes des factions religieuses ainsi qu’aux révoltes de la noblesse et des paysans qui lui étaient assujettis. Pour ceux qui détenaient le pouvoir, la promesse de perspectives d’avenir au Nouveau Monde paraissait comme une étoile lumineuse à l’horizon.