Quand Robert Levesque, Jeanne et ses trois fils sont arrivés à Rivière-Ouelle, ils ont dû recevoir un accueil chaleureux de la part de Jean-Baptiste François Deschamps et de sa femme Catherine-Gertrude Macard, qui était probablement ravie de voir Robert de retour avec sa nouvelle famille. En plus des efforts que Jean-Baptiste avait investis pour accroître la seigneurie, sa petite famille aussi s’accroissait. Tôt en février, peu de temps avant l’arrivée de Jeanne et de Robert, Catherine-Gertrude avait donné naissance à un quatrième fils, Henri-Louis qui était plus jeune de six mois que Guillaume, le fils de Jeanne et de Guillaume.
La famille fondée par Jeanne et Robert a tôt fait de s’accroître, elle aussi. Au début de 1680, Jeanne a accouché de François-Robert. Comme il n’y avait pas encore d’église à Rivière-Ouelle, à ce moment-là, le nouveau-né de Jeanne a été baptisé à la résidence de ses parrain et marraine, le seigneur Deschamps et sa femme. Nous savons que François-Robert s’ajoutait aux deux fils plus vieux que Jeanne avait eus, lors de son premier mariage. Ce qui demeure un mystère, c’est la disparition du cadet des fils Lecanteur. Il est vraisemblablement mort quelque temps entre le mariage de Jeanne avec Robert, en avril 1679, alors qu’on a fait mention de lui, et 1681. On n’a trouvé aucun certificat de décès à son nom, probablement parce que Rivière-Ouelle ne possédait pas de prêtre permanent, à ce moment-là. Dans le recensement de 1681, la famille de Jeanne et de Robert ne comptait que trois fils : Nicolas et Charles Lecanteur ainsi que, maintenant, François-Robert Levesque.
La situation allait bientôt changer. En janvier 1682, en effet, Pierre-Joachim est né. Pas tout à fait trois ans plus tard, un autre fils, Joseph, est venu au monde. Le baptême de Joseph, qui a eu lieu en janvier 1685, a été l’un des premiers baptêmes inscrits dans les registres de l’église de Rivière-Ouelle, nouvellement érigée.
L’épidémie de 1687-1688, qui a causé la mort de tant de gens en Nouvelle-France, a aussi été la cause d’une double tragédie pour Jeanne et Robert. En décembre 1687, en effet, l’épidémie a emporté leur quatrième fils, Jean-Baptiste, qui était né en octobre 1686. Un autre fils, aussi prénommé Jean-Baptiste, est né en février 1688, mais n’a survécu qu’un mois aussi au cause d’épidémie.
Finalement, Jeanne a eu une fille, Marie-Anne, qui a vu le jour le 3 octobre 1690. Hélas, elle est décédée dix jours plus tard. C’est ainsi que dans un laps de temps de presque cinq ans, soit de janvier 1686 à octobre 1690, Jeanne a été enceinte et, pendant les quatre dernières années de cette période, elle a accouché de trois enfants et en a enterré autant. Je me demande comment elle a composé avec ces décès, une douleur partagée par plusieurs autres familles dans les premiers temps de la Nouvelle-France.
Croissance de la ferme familiale
Entre-temps, leur ferme familiale prospérait, grâce à l’aide des fils survivants. Dès l’âge de 8 ou 9 ans, les garçons pouvaient déjà aider Robert dans les champs ou dans la construction de leur nouvelle demeure pour loger la famille qui grandissait. À la fin de 1690, les deux fils Lecanteur ainsi que les deux fils aînés que Jeanne avait eus avec Robert travaillaient sur la ferme avec lui; seul Joseph, qui n’avait pas encore 6 ans, restait à la maison avec Jeanne. Avec une telle aide, les travaux de nettoyage de la ferme allaient assez rondement. Qui plus est, en 1689, Deschamps avait octroyé à Nicolas Lecanteur, le fils aîné de Jeanne, une étroite bande de terre non-défrichée sur les bords du Saint-Laurent. On ne connaît pas bien les raisons de cet octroi, mais celui-ci s’est certainement ajouté à la propriété Lévesque-Chevalier. Avec l’augmentation de la superficie du domaine, les revenus de la famille se sont aussi accrus significativement. Le 11 août 1692, Robert et Jeanne ont pu faire l’acquisition de trois lopins de terre défrichée et non-défrichée de leur voisin Joseph Renaud. L’achat comprenait une maison ainsi que des bâtiments de ferme. Robert continuait sans doute son travail de charpentier, puisqu’ils sont parvenus à rembourser le montant de l’achat, 2 200 livres, en dedans de deux ans.
L’acquisition de cette grande propriété a été apparemment faite pour pouvoir offrir des terres à leurs fils. Peu après l’achat, soit le 25 septembre, Jeanne et Robert ont fait leur première concession de terre à Nicolas. Malheureusement, celui-ci est mort de cause inconnue, à peine un mois plus tard. Charles, le fils Lecanteur restant de Jeanne, a reçu une concession de terre de la part de Jeanne et de Robert, en octobre 1698. La terre octroyée à Nicolas par Deschamps, en 1689, est donc restée dans la famille.
Jeanne et Robert au tournant du siècle
En 1699, un seul des fils que Jeanne avait eus avec Guillaume était encore vivant, avec les trois enfants survivants qu’elle avait eus avec Robert. Malgré la douleur causée par la perte de cinq enfants et la charge de travail ardu qu’ils ont dû assumer, Jeanne et Robert auraient eu toutes les raisons de penser qu’ils étaient prêts à entrer dans le nouveau siècle avec un sentiment de satisfaction.
Ils possédaient maintenant une grande ferme prospère. En fait, ils étaient une des familles les plus prospères du coin. Ils avaient des terres pour leurs quatre fils et possédaient trois maisons, une étable, une grange et plusieurs animaux de ferme. Robert était un leader dans le village de Rivière-Ouelle, ayant joué un rôle majeur dans la lutte contre les Anglais, en 1690, et ayant aidé à la construction de l’église. En se basant sur l’inventaire de leurs biens, qui serait fait trois ans plus tard, ils avaient une maison confortable, avec des lits, de la literie, des chaises et autres meubles, de la vaisselle, des bols, des articles de cuisine en étain ainsi que d’autres objets domestiques et personnels. Si on inclut la terre qu’ils possédaient, leur propriété était évaluée à plus de 8 000 livres.
Jeanne a dû jouer un rôle important dans leur succès, même si son apport n’a pas été pris en compte par les historiens. Comme toutes les femmes dans la Nouvelle-France rurale du temps, elle a dû aider son mari dans les travaux des champs, s’occuper du jardin familial, nourrir et vêtir sa famille et s’occuper des enfants , quand Robert était occupé avec ses travaux de menuiserie.
Mais la vie allait prendre une tournure inattendue. En effet, une nouvelle épidémie a frappé Rivière-Ouelle en 1699 et a touché la famille Lévesque et tout le village de Rivière-Ouelle.