On sait peu de choses sur ce que Jean-Baptiste-François Deschamps de la Bouteillerie a fait durant l’année suivant son arrivée (en Nouvelle-France). Il semble avoir été bien occupé. Il a écrit une lettre à son père peu de temps après son arrivée à Québec lui demandant un menuisier supplémentaire. Le 29 octobre 1671, il a engagé Gabriel Lambert pour donner un coup de main, dans sa propriété. Ces deux initiatives donnent à penser qu’il s’était déjà mis à la recherche d’un site et qu’il avait finalement arrêté son choix sur une terre qui lui plaisait et qu’il avait déjà déterminé les travaux à y entreprendre. En effet, dans les papiers officialisant l’octroi de la terre, on mentionne qu’il avait déjà commencé à y travailler.
Malgré que le père Asseline fasse référence à la promesse de l’octroi d’une terre entre Trois-Rivières et Ville-Marie (la ville actuelle de Montréal) ce que je n’ai jamais pu confirmer, l’intendant Talon a donc officiellement accordé à Deschamps une seigneurie située à 148 kilomètres au nord-est de Québec (c’était l’une des seigneuries les plus à l’est, sur la rive sud du Saint-Laurent, à être concédée à cette époque), le 29 Octobre 1672. Celle-ci a été apparemment nommée « Rivière-Ouelle » en l’honneur de Louis Houel, un compagnon de l’explorateur Samuel de Champlain et probablement un ami de la famille Deschamps. La seigneurie était aussi connue sous le nom de « La Bouteillerie », ainsi nommée en l’honneur de la grand-mère de Deschamps, Suzanne Bouteiller.
Le mariage et la famille
Pendant qu’il s’installait sur sa terre, Jean-Baptiste a dû consacrer du temps à la recherche d’une épouse. Peut-être que sa tante, la religieuse augustine mère Saint-Joachim, qui l’avait précédé à Québec quelques décennies plus tôt, avait fait des recherches discrètes pour trouver une épouse convenable pour son aristocratique neveu? Ou peut-être que d’autres dispositions avaient été prises par Deschamps ou par sa famille en France?
D’une façon ou de l’autre, les bonnes connexions ont été établies. Un an après son arrivée à Québec, après avoir résolu la question de l’emplacement de sa terre et après avoir pris des dispositions pour qu’une maison y soit construite, Jean-Baptiste-François Deschamps de la Bouteillerie a signé un contrat de mariage avec Catherine-Gertrude Macard, le 16 octobre 1672. Ils se sont mariés huit jours plus tard, à Québec. Parmi ceux qui assistaient au mariage, il y avait le comte de Frontenac, gouverneur de la Nouvelle-France, nouvellement nommé, ainsi que d’autres membres de la haute société, du nouveau gouvernement et plusieurs officiers du Régiment de Carignan, récemment dissous.
Catherine-Gertrude n’avait pas tout à fait 17 ans à l’époque, étant née à Québec le 15 novembre 1655. Elle était la fille de Marguerite Couillard, qui était aussi née en Nouvelle-France et qui avait des racines familiales profondes dans la colonie. En fait, les arrière-grands-parents de Catherine-Gertrude, Marie Rollet et Louis Hébert, étaient le premier couple à se construire une maison à Québec, moins d’une décennie après sa fondation. Leur fille Guillemette avait épousé Guillaume Couillard, qui est devenu une figure bien connue de l’histoire du Québec. Guillaume et Guillemette ont eu dix enfants, parmi lesquels Marguerite, la mère de Catherine-Gertrude. Le premier mari de Marguerite, l’explorateur canadien Jean Nicolet, était mort dans un accident de canoë parce qu’il ne savait pas nager. Son deuxième mari, le père de Catherine-Gertrude, Nicolas Macard, est mort quatre ans après la naissance de Catherine-Gertrude.
Après leur mariage, Jean-Baptiste et Catherine-Gertrude sont presque certainement restés à Québec jusqu’à ce que leur maison à Rivière-Ouelle soit terminée, bien que Deschamps a certainement dû passer du temps sur sa concession, pour surveiller la construction de sa maison et le défrichement de sa terre. Le 27 septembre 1673, le premier fils du couple, Jean-Baptiste-François, est né et a été baptisé à Québec, onze mois après leur mariage.
La vie à Rivière-Ouelle
À un moment donné, au cours des deux années suivantes, Jean-Baptiste et Catherine-Gertrude ont déménagé dans leur nouvelle maison à Rivière-Ouelle. Les deux fils qui ont suivi, Charles-Joseph et Jean-Baptiste, y sont probablement nés, puisqu’un laps de temps s’est écoulé entre leur naissance, respectivement en juillet 1674 et juillet 1676, et l’enregistrement de leur baptême à Québec.
Peu d’écrits existent pour nous dire à quoi a pu ressembler la vie de la famille, à Rivière Ouelle, durant ces premières années. Elle ne pouvait, cependant, pas ressembler à la vie sociale qu’ils auraient eue à Québec. Même si leur situation ressemblait à celle d’autres familles nobles vivant sur leurs terres, leur maison n’était pas grandiose; d’ailleurs, elle a probablement d’abord été construite en bois. En 1681, ils avaient apparemment au moins un serviteur pour aider aux travaux ménagers.
Puisque Rivière-Ouelle était toujours un avant-poste de la colonie à l’époque avec peu d’habitants, les rapports entre les classes sociales ne pouvaient pas y être très rigides – du moins, pas au début. Pour autant que je sache, aucune autre femme ne vivait à Rivière-Ouelle jusqu’à peu après 1674, alors que les hommes qui s’étaient vus octroyer des terres ont commencé à ramener des femmes pour s’installer. Une seule autre femme du même rang que Catherine-Gertrude, Catherine Baillon, épouse de Jacques Miville, est venue vivre à Rivière-Ouelle et le couple n’est pas arrivé avant 1676, environ.
Jean Baptiste et Catherine-Gertrude ont dû être heureux d’accueillir de nouvelles familles à Rivière-Ouelle. D’après les écrits du temps, il semble qu’ils aient été très engagés dans la vie du village, comme les baptêmes, tous deux ayant servi de parrain et de marraine à plusieurs enfants, y compris à mon ancêtre, François Robert, le premier fils de Jeanne et de Robert. Apparemment, ils jouissaient de quelques signes de respect réservés à la noblesse. Malgré l’absence de documents écrits ou de journaux, il y a des récits qui racontent la cérémonie traditionnelle du mai, le premier jour de mai. C’était devant le manoir des Deschamps qu’étaient apparemment payés le cens et autres impôts, le jour de la Saint-Martin, le 11 novembre. La famille avait aussi un banc spécial dans l’église – quand sa construction a été finalement terminée – et recevait certaines marques de déférence pendant les services religieux ou autres événements mondains. Au moins une fois par année, Jean-Baptiste devait se rendre à Québec pour présenter ses civilités aux représentants du roi en Nouvelle-France.
Tragédie
Au fil des années, leur famille a continué à s’accroître. Catherine-Gertrude et Jean-Baptiste ont eu un quatrième fils, Louis-Henri, qui est né le 7 février 1679 – cette fois, apparemment, à Québec. Mais, presque trois ans plus tard, la tragédie a frappé Rivière-Ouelle. En effet, le 21 novembre 1681, Catherine-Gertrude est décédée, en donnant naissance à leur dernier fils, Jean-François, quelques jours seulement après son vingt-sixième anniversaire de naissance. Son petit garçon est mort avec elle. Le prêtre, qui était présent, a enregistré leur décès à L’Islet, plusieurs kilomètres plus bas, parce que la paroisse de Rivière-Ouelle n’était pas encore organisée. Catherine-Gertrude et son fils ont cependant été enterrés sur la terre qui deviendrait plus tard le premier cimetière de Rivière-Ouelle.
Puisque leur premier fils n’avait pas vécu assez longtemps pour être inclus dans le recensement de 1681, la mort de son épouse aurait laissé Jean-Baptiste avec trois jeunes fils : l’ainé, Charles-Joseph, âgé de sept ans, Jean-Baptiste-François, de cinq ans, et Louis-Henri, de trois ans. Selon Paul-Henri Hudon, l’historien canadien bien connu, conformément à la coutume du temps, on aurait envoyé les garçons à vivre avec leurs parrains et marraines, membres de la famille Couillard, une famille aisée, ainsi que des parents de Catherine-Gertrude, jusqu’à leur majorité. Ces familles vivaient à Québec et ils étaient ainsi en mesure d’élever les garçons selon les règles en vigueur dans l’aristocratie, de s’assurer qu’ils reçoivent une éducation appropriée, au séminaire ou dans des académies militaires, et qu’ils apprennent les bonnes manières, à bien se tenir, à bien se vêtir et à bien parler. Leur père n’aurait pas pu leur assurer une telle éducation, trop occupé qu’il était par le développement de sa seigneurie, loin de Québec.
Nous ne savons pas avec certitude à quelle fréquence Jean-Baptiste voyait ses fils, s’ils venaient le visiter à Rivière-Ouelle, s’ils se réunissaient à l’occasion de ses visites à Québec, ni beaucoup d’autres détails de leurs premières années de vie. Mais il y a une chose que nous savons, c’est que Jean-Baptiste est resté veuf pendant vingt ans, après la mort de sa femme, un événement à ce point rare qu’il méritait d’être mentionné dans au moins un livre portant sur l’histoire du Canada.