Même si relativement isolée de ce qui se passait au niveau politique dans le reste de la Nouvelle-France, Rivière-Ouelle n’a pas totalement été épargnée par les guerres avec les colonies britanniques du sud. Apparemment en représailles contre les raids effectués par les Français en Nouvelle-Angleterre, une flotte de 32 navires britanniques transportant 2 000 soldats et commandée par Sir Francis Phips a fait son apparition à l’est du territoire de la Nouvelle-France, en 1690. Ils ont d’abord saccagé les côtes de l’Acadie et, plus tard, au début d’octobre 1690, ils sont arrivés au large de Rivière-Ouelle. Leur venue a fait l’objet d’un récit qui a été maintes fois raconté, parfois enjolivé et non dénué d’une certaine confusion (http://www.apointinhistory.net/Rivière-ouelle.php). Je me permets de résumer les faits.
On raconte que des messagers de Québec sont venus prévenir les habitants de Rivière-Ouelle que les soldats de Phips risquaient de ravager leur village, tout comme les autres villages de la côte, et de les inciter à se préparer en conséquence. Les villageois étaient donc prêts quand Phips a envoyé six embarcations contenant 25 hommes chacune à Rivière-Ouelle. Conduits par le prêtre de la paroisse, 50 « héros » ont entrepris de défendre Rivière-Ouelle et de repousser les soldats britanniques en route pour Québec. Phips a continué son chemin et a été défait à Québec, à la mi-octobre; la vie a pu ainsi reprendre son cours sur les rives du fleuve.
Les noms des défenseurs de Rivière-Ouelle ont été transmis au fil du temps; jusqu’à ce qu’ils soient remis en question par une recherche relativement récente. Robert Lévesque ainsi que ses deux fils Lecanteur ont indubitablement pris part à la défense de Rivière-Ouelle. Deux des fils Deschamps ont été faisaient partie de la liste originale des défenseurs de Rivière-Ouelle, mais peut-être à tort. En effet, les allées et venues du seigneur Deschamps demeurent un mystère, puisqu’il ne figure pas parmi les personnes présentes à la bataille de Rivière-Ouelle. Avait-il été rappelé à Québec pour aider à défendre le siège du gouvernement ou était-il retourné en France? Aucune trace de quelque transaction foncière ou de quelque entrée dans les registres au nom de Deschamps que ce soit n’a été trouvée pendant trois ans, après qu’il ait fait son octroi de terre à Nicolas Lecanteur en avril 1689. L’absence de registres a amené un historien à avancer l’hypothèse qu’il aurait pu retourner en France plus tard cette année-là, pour se mettre à jour avec sa famille et ses concitoyens normands sur les naissances, les mariages et les décès survenus et pour visiter son fils qui poursuivait une carrière militaire en métropole. Voici un autre sujet à ajouter à la liste des « choses à investiguer ».
En présence ou en l’absence du seigneur Deschamps durant ces années, Rivière-Ouelle a continué à changer et à se développer. De nouveaux colons sont arrivés à Rivière-Ouelle, en provenance d’autres régions, en particulier de Château-Richer et de l’Ange-Gardien, pour obtenir une nouvelle concession ou pour acheter une terre ayant déjà été octroyée à des habitants. Un petit nombre d’entre eux est arrivé directement de France. Tout comme d’autres familles, Jeanne et Robert ont eu un nouvel enfant, cette fois, une petite fille qui n’a malheureusement vécu que dix jours après sa naissance. Mais d’autres bébés ont survécu. Ces enfants ont grandi, se sont mariés à des fils ou à des filles d’autres colons de Rivière-Ouelle ou de leurs amis, et s’y sont établis avec leurs petites familles.
Alors que la Nouvelle-Angleterre était aux prises avec l’hystérique procès des sorcières de Salem, en 1692, les archives montrent que Deschamps a recommencé à octroyer des terres à plusieurs nouveaux colons, cette année-là. C’est la même année qu’il a aussi cédé son manoir à l’Église, pour servir de presbytère au nouveau prêtre. Je n’ai pas réussi à trouver quelque mention que ce soit de la construction d’un nouveau manoir au cours de sa vie. L’hypothèse la plus sensée est qu’il aurait alors déménagé dans l’une des maisons qui se trouvaient sur la terre que Jeanne et Robert venaient juste d’acheter de Joseph Renaud. Si ce déménagement a effectivement eu lieu, il a vraisemblablement amené avec lui sa servante pour l’aider dans les tâches domestiques quotidiennes. La nouvelle demeure a dû devenir le manoir seigneurial où le cens était perçu et la justice rendue.
En plus d’encourager la venue de nouveaux colons et de changer de résidence, Deschamps a continué à chercher de nouvelles possibilités de développement. C’est ainsi que le 11 mai 1697, le gouverneur Frontenac a concédé à Jean-Baptiste-François Deschamps de la Bouteillerie ainsi qu’à deux autres hommes des droits de pêche sur les Îles Pèlerins situées dans le fleuve Saint-Laurent, à 39 kilomètres au nord-est de Rivière-Ouelle. Apparemment, ces trois hommes envisageaient d’établir une pêcherie de marsouins.
En 1698, Rivière-Ouelle comptait 105 habitants. Cette croissance se comparait avantageusement à celle des autres établissements environnants, encore que les précisions soient difficiles à trouver. C’était toujours un avant-poste de la colonie puisque, cette année-là, la Nouvelle-France comptait 15 355 habitants surtout concentrés autour de Québec, Ville-Marie et Trois-Rivières.